Je vous ai vu

Je vous ai vu déambuler en habits bleu passé

Errer dans les allées en pyjama râpé

Le dos courbé, la tête baissée,

En petits pas, dans vos pantoufles de papier.

Je vous ai vu en impatientes, en contractures,  en sialorrhée,

Je vous ai vu trembler dans vos corps neuroleptisés, 

Les membres raidis, le corps meurtri, le regard gris…

Et mon cœur s’est serré

Je vous ai vu enfermés, privés de vos vêtements, de vos chaussures,

De vos objets et de votre dignité.

Je vous ai entendu crier, taper, hurler

Je vous ai vu attachés, rabaissés, humiliés,

Par des soignants désaffectés…

Et mon cœur s’est soulevé 

J’ai vu vos âmes brisées et vos corps abimés, battus, violés, séquestrés, torturés.

J’ai vu vos drames banalisés, vos traumatismes discrédités.

J’ai vu vos larmes résister, perler, couler, et même dégouliner…

Et mon cœur a saigné 

Je vous ai vu en silence et en agitation,

Tenter l’acceptation ou bien la rébellion.

Je vous ai vu chevaux fou, en agneaux, transformés,

Quand la docilité conditionne la liberté…

Et mon cœur s’est révolté 

 

Je vous ai vu rabroués dans vos élans d’humanité,

Rappelés à l’ordre et aux règles, recadrés.

Je vous ai vu lutter ou bien capituler.

Je vous ai vu fumer, 

attendre, 

Fumer et puis attendre 

Et puis attendre… 

Je vous ai vu fuguer puis revenir, entre deux infirmiers,

Accepter la sentence d’une mise à l’isolement, d’un retour au pyjama,

Fier de votre escapade et de la grâce accordée par quelques heures de liberté…

Et mon cœur s’est emballé 

 

Pourtant paraît qu’la psychiatrie ça aide des gens.

C’est vrai que ça brise souvent, ça traumatise, ça réactive,

Ca laisse des traces et des séquelles,

Ca fait des réminiscences encore, et même parfois ça tue.

C’est vrai des fois les gens ils meurent là-bas, ils ressortent les deux pieds devant.

Mais paraît que des fois quand-même, « ça sauve des vies »… c’est ce qu’on m’a dit.

J’sais pas moi, moi je parle de c’que j’ai vu. 

 

Je vous ai vu zombifiés, coquilles vides, morts dedans.

Je vous ai vu scarifiés, mutilés ou suicidés, entre leurs murs si sécurisés.

Je vous ai vu mourir attaché, de sédatifs overdosés.

J’les ai vu banaliser, minimiser, réinventer la vérité,

Faire un consensus de leur putain d’realité. 

J’ai vu vos droits bafoués, j’ai vu l’impunité, j’ai vu la toute puissance.

Avec les lois, et toutes les recommandations de bonnes pratiques, leurs cul torchés.

J’ai vu l’impunité. J’ai vu l’impunité et mon esprit… a vrillé.

Et des fois faut qu’j’me retienne de dire tout ça,

Faut qu’j’me taise parce-que les gens c’est dur pour eux,

Parce-que la vérité ça fait mal aux oreilles et aux yeux.

Alors des fois j’serre les dents, j’garde dedans,

J’me r’tiens d’tout dire, tout déballer, tout vomir,

Le dégoût, la colère et la rage.

Mais tends-moi l’oreille et j’te raconterai tout ça,

Toutes les horreurs qu’j’ai vues là-bas,

Comment j’en suis traumatisée,

Comment mon cœur………… a éclaté…